En
1840, le philosophe danois Soren Kierkegaard a vingt sept ans. Il se fiance à
la très jeune Régine. Après une enfance de solitude auprès d’un père âgé obsédé
par la religion puis une vie d’étudiant fasciné par la figure de don Juan et
subjugué par la musique, ne va-t-il pas trouver réconfort et stabilité dans
cette relation ?
N’aime-t-il
donc pas Régine ? Toute son œuvre explore ce mystère : l’amour. Il aime la
jeune fille mais n’est-ce pas du désir, comme l’éprouve le personnage qu’il
imagine dans son Journal du séducteur, Johannès ? Le désir est
sensuel, charnel, il recherche la beauté pour s’en repaître. Est-ce cela
l’amour ? Les convives de In vino veritas, banquet du XIX° siècle, en discutent.
L’amour ne peut tout de même pas être dans le mariage où la promiscuité et
l’habitude font apparaître l’aimée telle qu’elle est, réelle, et tuent l’image
idéalisée qu’en avait l’amoureux. Auquel cas le philosophe n’aurait pas à
regretter d’avoir poussé Régine à rompre. Et sa fureur lorsqu’il la croisa un
an plus tard au bras d’un nouveau fiancé aurait dû être soulagement. Alors
pourquoi souffre-t-il tant ?
Il
aime avec passion et passion veut dire, à l’origine, souffrance. Le Christ a
connu la passion sur la croix pour l’amour de l’humanité. Mais la passion est
aussi ce qui donne son sens à la vie. Elle peut être constructive, active.
Comme l'amour.
C’est
parce qu’il aime que Kierkegaard invente l’existentialisme contre la glaciale
philosophie rationaliste de Hegel. Il écrit ses existences d’homme aimant - les
femmes, Régine, Dieu - mais l’amour a tant de visages que son
explorateur en change aussi à travers ses pseudonymes. Il signe Johannès de
Silentio, Vigilius Haufniensis, Johannès Climacus… Ses adversaires
religieux l’attaquent de toutes parts mais il les provoque. L'amour de Dieu est
amour de la vérité. C’est aussi une passion.
Il
écrivait à la mort de son père : " J'appris de lui ce qu'est l'amour paternel et je reçus par là le
concept de l'amour du père divin. "
Peut-être
qu'être trop aimé est tout aussi douloureux qu'aimer trop.
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