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L'hellébore : remède ou poison ? |
Ainsi la nature apparaît-elle aux Anciens comme
puissance créatrice et ordonnatrice. Ne parle-t-on pas de Mère Nature avec le
respect dû aux déesses ? Elle est le lieu originel, primitif où sont nées
toutes choses ( nascor en latin, qui a donné nature, signifie naître ).
Même lorsque Descartes préfère, au XVIIème siècle, lui donner sa définition scientifique moderne, la nature devenant la matière constitutive du monde, cette aura initiale ne disparaît pas.
Au contraire, plus que jamais ce qui est « contre nature » est associé au mal. Ne pas aimer spontanément son enfant pour une femme, ne pas être fort pour un homme, être homosexuel… seraient contre nature puisque allant à l’encontre d’un instinct censé nous guider dans la bonne voie.Que faire alors de réalités telles que le
rejet, par les mères animales, de leur progéniture à peine née jugée peu
viable, des mâles plutôt chétifs ou réduits au rôle de simples reproducteurs (
la reine des abeilles n’a pas de roi ) et des innombrables espèces qui
s’adonnent au plaisir du sexe avec des partenaires du leur ? Les
ignorer ?
« Accidents, exceptions » ont
minimisé philosophes et savants. Au XVIIIème siècle, c’est le
penseur le plus proche de la nature au sens où nous comprenons le mot
aujourd’hui, ces espaces non transformés par l’homme, royaume des végétaux et
animaux, Rousseau amoureux des Alpes, qui en dégage des théories aberrantes
quant à la supposée « nature féminine ». Avec Émile, traité où
il prône une éducation naturelle, il pourrait nous faire croire que dépasser la
nature serait la trahir et que la trahir serait nous perdre.
Mais à observer la nature avec ses
préjugés plutôt qu’avec ses yeux, on lui fait dire ce que l’on veut. Le
meilleur lorsque Jonas évoque son « appel muet » dans le but de
fonder une nouvelle éthique comme le pire lorsque peu avant, l’idéologie nazie,
à l’appui d’un darwinisme mal digéré, a cru l’entendre réclamer l’élimination
des plus faibles et des prétendus parasites.
Ainsi, la question pertinente à propos de
la nature ne serait pas – une fois n’est pas coutume en philosophie - « qu’est-elle ?
» mais « dans quelle intention en appelle-t-on à elle ? ». Car sa
préservation mais aussi notre liberté dépendent de la prise de conscience des
motifs aux racines multiples et enchevêtrées qui font mettre son nom dans
toutes les bouches comme une clé infaillible à la vérité ou au bonheur.
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