On dit de certains détectives qu’ils ont
du flair comme on le dit de chiens habiles à débusquer les truffes ou le
gibier. On les appelle fins limiers, à l’image de ces gros chiens de chasse du
même nom. Avoir du flair, du nez, du pif. Les philosophes quant à eux parlent
d’intuition.
Quel que soit le nom qu’on lui donne, il
existerait une sorte de perception par l’esprit, connaissance immédiate qui
ferait accéder infailliblement à la vérité. Il y aurait donc une connaissance
intuitive qui dépasserait la connaissance rationnelle en cela qu’elle surgirait
comme d’elle-même.
L’intuition, que le mathématicien,
physicien et philosophe Pascal assimile à la plus belle de nos capacités
inspire surtout de la méfiance à ses confrères. Si on l’a longtemps prêté aux
femmes – la fameuse « intuition féminine » - c’était pour renier à
cette moitié de l’humanité la capacité de raisonner. Aux hommes l’intelligence
et la connaissance rationnelle, aux femmes ce sixième sens d’origine obscure, à
la frontière de la magie, peut-être de la sorcellerie.
Mais revenons à nos détectives. Les grands héros policiers brillent par leur intelligence. Hercule Poirot n’est pas peu fier de ses « petites cellules grises » ni Sherlock Holmes de sa rapidité dans les déductions. Ces héros d’Agatha Christie et de Conan Doyle ont pour point commun d’aimer exposer longuement la façon dont ils sont parvenus à leurs déductions. Rien d’étonnant : la raison est discursive, elle se déploie dans des explications enchaînant les causes aux conséquences, déroulant logiquement le fil d’une histoire qui ne laisse plus place aux impressions premières ni aux préjugés. Plus ils étaient au départ éloignés de la vérité, plus on admire ces enquêteurs d’y être parvenus par la seule puissance de leur raisonnement.
L’inspecteur Colombo, personnage éponyme de
la série télévisée, représente à l’opposé les pouvoirs de l’intuition. Il
représente aussi l’impuissance de celle-ci face à la justice car si son flair
ne le trompe jamais, il ne constitue pas une preuve de la culpabilité du
suspect. L’intuitif ne peut être que le point de départ du discursif car la
connaissance immédiate devra se prolonger par un exposé cohérent et probant
établissant les faits.
Ce conflit entre raison discursive et
intuition se retrouve au cœur de la vie du commissariat que nous raconte Fred
Vargas au fil des aventures de Jean-Baptiste Adamsberg. Distrait, incapable de
se souvenir des noms, de prendre des notes ou de rédiger un rapport clair, il
fait le désespoir de ses lieutenants mais fascine certains agents car aussi
mystérieux que cela soit – et certainement parce que ça l’est – il résout les
enquêtes les plus complexes en donnant l’impression de ne jamais raisonner,
relançant à son insu un débat classique de la philosophie.
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