Au XXIème siècle, se déclarer épicurien ou avoir pour devise Carpe diem, c’est afficher son goût pour les bonnes tables et tous les plaisirs sans s’inquiéter du lendemain. Ainsi se définit l’hédonisme qui assimile le bonheur aux plaisirs matériels.
C’est un rien de provocateur dans notre
société où la nutrition est un enjeu de santé publique et l’angoisse pour l’avenir
omniprésente. La provocation était pire encore lorsque la morale chrétienne
dominait notre civilisation, voyant dans tout plaisir un péché et dans l’insouciance
du lendemain le mépris du jugement de Dieu.
Cette provocation repose pourtant sur un immense malentendu.
Épicure, un hédoniste ? Oui. Mais le
plaisir dont il dit qu’il est « le principe et la fin de la vie bienheureuse »
( son commencement et son but ) correspond d’abord à la satisfaction des
besoins, les désirs naturels nécessaires ( ex : se nourrir ) puis des
désirs « seulement naturels » ( ex : la sexualité ) et non pas à
la satisfaction de tous les désirs influencés par la société ( désirs « vides »
).
Le plaisir réside dans l’absence de
douleur physique et de souffrance psychologique. Si je ne désire rien d’autre
que ce que je peux facilement me procurer, je ne souffrirai pas de frustration
et serai heureux. Si je suis en bonne santé, je n’aurai pas de douleurs et
serai heureux. Santé et sérénité forment l’ataraxie, l’absence de trouble
synonyme du bonheur épicurien.
Les excès, le luxe, les produits artificiels
causent le malheur alors qu’en suivant les désirs innés et en puisant dans la
nature de quoi les satisfaire, l’on atteindra le souverain bien, cet autre mot
pour désigner le bonheur puisque aucun bien ne lui est supérieur.
Le plaisir est à ce point constitutif du
bonheur qu’il faut parfois accepter de souffrir momentanément pour ne pas en
être privé définitivement. On renoncera par exemple à un aliment qui détériore
notre santé malgré le plaisir gustatif qu’il nous procure.
Hédoniste, Épicure est aussi matérialiste
au sens philosophique : il est convaincu que rien n’existe en dehors du
monde matériel, immanent. Tel est le sens de Carpe diem. Profite du jour
présent car lui seul t’appartient, ne le gâche pas en regrettant le passé ou en
t’inquiétant de l’avenir. Ce n’est pas un appel à la débauche mais l’attention attirée
sur la fragilité de l’existence.
Dans son école à Athènes, le Jardin, Épicure
enseigne aux hommes, aux femmes et aux esclaves, mange les légumes de son
potager et se moque bien pas mal d’être riche, puissant ou célèbre pourvu qu’une
amitié profonde le lie à ceux qui partagent sa sagesse.
Curieux des mystères de l’univers, il développe
une théorie physique atomiste tout en dispensant des conseils éthiques. Car l’épicurisme
est un eudémonisme : le bon usage de la raison rend le bonheur réalisable.
Le bonheur par conséquent s’apprend.
« Du pain d’orge et de l’eau procurent le
plus vif plaisir à celui qui les porte à sa bouche après en avoir senti la
privation ». Quel prétendu épicurien contemporain reconnaîtrait ce qu’il s’imagine
être l’épicurisme dans ce conseil que le philosophe donne à son disciple
Ménécée et qui résume son idée du bonheur ?
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