En 399 avant J-C., Socrate est
exécuté, accusé, outre d’être impie, de détourner la jeunesse du droit chemin,
de la corrompre. Or, le détournement résulte de la séduction, séduire
signifiant littéralement amener à part et plus globalement exercer sur
quelqu’un tous les moyens de plaire pour l’abuser ou le faire agir dans un but
précis.
Socrate, aux yeux des trois citoyens qui l’ont dénoncé et des juges qui l’ont condamné, n’est qu’un séducteur au sens le plus péjoratif du terme, comme on le dit de don Juan dans la littérature classique, un homme qui ment et qui trompe par ses belles paroles.
Socrate, aux yeux des trois citoyens
qui l’ont dénoncé et des juges qui l’ont condamné, n’est qu’un séducteur au
sens le plus péjoratif du terme, comme on le dit de don Juan dans la
littérature classique, un homme qui ment et qui trompe par ses belles paroles.
Alcibiade, dans Le Banquet ,
compare Socrate dont il est fou amoureux au satyre Marsyas. De même que
celui-ci ensorcellerait les gens au son de sa flûte, Socrate les charmerait par
ses mots, jetant le trouble dans leur esprit au point qu’ils douteraient de
tout ce qui leur paraissait évident. Ainsi, depuis sa rencontre avec Socrate,
Alcibiade ne saurait-il plus s’il préfère continuer sa carrière politique ou
bien se consacrer à la philosophie. Séduit par Socrate, Alcibiade serait
désorienté.
Ce genre de témoignage, pris au
premier degré, n’a pas plaidé en faveur du philosophe. Mais si Socrate n’avait
été qu’un séducteur, comment serait-il devenu « l’idéal-type » de
l’homme qui pense(1), le « totem de la philosophie
occidentale » (2) ?
Malgré ses lamentations – facilitées
et exacerbées par l’alcool -, Alcibiade fait l’éloge de Socrate. Il reconnaît
« combien est merveilleux le pouvoir qu’il possède » de révéler, par
le dialogue, les âmes à elles-mêmes. Socrate est en outre un modèle de
tempérance ( modération ), de détachement vis-à-vis des biens matériels, de
courage, de maîtrise de soi.
Or, ces qualités ne le rendent-elles
pas attirant, séduisant – malgré sa légendaire laideur ? Et son
intelligence, son ironie, son sens de la répartie, charismatique ? Le très
bel Alcibiade s’était imaginé subjuguer Socrate par son physique et son argent.
Le philosophe méprise l’un et l’autre. Cette façon de ne courir après personne
mais de laisser les gens venir à lui est aussi une façon de séduire mais non
plus pour tromper, pour instruire.
Mort d’avoir été confondu avec un
séducteur, Socrate a accédé à la postérité d’être intellectuellement séduisant,
sa pensée amusée dansant sur une frontière équivoque dont il n’a pas franchi la
ligne. Car l’on n’éduque pas si l’on est séducteur mais l’on n’éduque pas non
plus sans être séduisant.
(1) Voir Hannah
ARENDT dans Considérations morales.
(2) Voir Jacques
BRUNSCHWIG dans l’article « Socrate » de l’Encyclopaedia
Universalis.
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