En 1739,
Jacques de Vaucanson expose deux des automates qu’il a conçus : le
joueur de tambourin et flageolet et le canard digérateur. Si ce
dernier ne digère pas réellement, il bat des ailes et mange du grain comme
n’importe quel canard.
Pourquoi ces automates ? Le grenoblois Vaucanson, qui a étudié l’anatomie et la mécanique, s’exerce à mettre au point une « figure automate qui imitera dans ses mouvements les opérations animales [...] et pourra servir à faire des démonstrations dans un cours d'anatomie ». Vaucanson, immortalisé par son canard, est considéré aujourd’hui comme l’un des précurseurs de la robotique.
Mais le canard,
réalisation technique, a pu naître parce que son concepteur s’appuie sur une
représentation théorique du vivant inventée par Descartes : le mécanisme.
En effet le philosophe, lui-même
intéressé par les automates, considère que les corps vivants sont des sortes de
machines constituées de tuyaux, de ressorts et autres engrenages invisibles. Les
corps sont de la matière, de la « substance étendue » distincte de la
« substance pensante », l’esprit. Ce dualisme consistant à envisager
le corps et l’esprit comme deux réalités distinctes est difficilement tenable -
Descartes lui-même peine à le soutenir face à ses contradicteurs - et le
fonctionnement mécanique du corps humain tel qu’il est détaillé dans la
cinquième partie du Discours de la
méthode fait sourire.
N’empêche que le principe mécaniste
lui-même a été adopté par la science puisque du darwinisme à la génétique, tous
les modèles modernes du vivant conçoivent celui-ci comme de la matière
obéissant à des lois nécessaires.
En effet, d’un point de vue chimique, le
vivant n’est-il pas constitué de molécules comme n’importe quelle autre matière ?
Sinon, comment la chimie du vivant serait-elle capable, à travers les thérapies
géniques par exemple, de changer un gène défectueux comme on change une pièce
cassée sur une automobile – ou un canard mécanique ?
Pourtant, ce matérialisme mécaniste, même
s’il fait l’unanimité chez les savants, n’échappe pas aux problèmes éthiques.
Est-il légitime de traiter la matière vivante, objet d’étude et potentiellement
de manipulations, comme n’importe quelle autre matière ?
Un automate du siècle des Lumières, un
robot high tech aujourd’hui, parce
qu’ils ne se sont pas organisés de façon autonome et sont incapables de se
reproduire, ne sont pas vivants. Il faut donc reconnaître à la matière vivante
une spécificité qu’aucune autre ne possède.
Le canard de Vaucanson, symbole des
espoirs scientifiques de créer, dans le futur, un être vivant entièrement
artificiel, soulève aussi des questions éthiques. Quel sens aurait, par exemple,
un vol de canards mécaniques, aussi sophistiquée et indécelable leur mécanique soit-elle
?
Si on aime les histoires de robots dont on
se demande s’ils ne sont pas un peu, malgré tout, « vivants »,
·
des
nouvelles à lire : Isaac ASIMOV, Les
robots ( 1950 ), Un défilé de robots
( 1964)…
·
et
deux films à visionner parmi tous ceux abordant le sujet : Blade Runner de Ridley Scott ( 1982 ), I Robot d’Alex Proyas ( inspiré d’Asimov,
2004 ).
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