Ainsi s’intitule la première partie d’un article
qu’Alan Turing publie en 1950 sous le titre Computing machinery and
intelligence dans la revue de philosophie Mind. Introduction à un
texte fondateur pour la recherche en Intelligence Artificielle ( expression qui
n’apparaîtra qu’en 1956 ), le mathématicien britannique y soulève la question :
“Can machines think ?”
Quelles machines ? Les ordinateurs, dont Turing est
considéré comme l’inventeur en Europe[1]. Il en a construit trois entre 1939 et
1945 et contribué ainsi à décrypter les messages codés des nazis. Cette
invention fait suite à celle de la Machine de Turing ( 1936 ), en réalité
un programme reposant sur un algorithme.
Mais une machine peut-elle penser ? Turing indique que
la question exige une définition préalable de ses termes. Or, le mot “ pensée ”
est porteur d’ambigüités exigeant une reformulation de la question si on veut
la traiter rigoureusement.
À cette fin, Turing passe par un détour : le jeu de
l’imitation. Imaginons un homme, une femme, un interrogateur ; le dernier ne
voit pas les deux premiers, dénommés X et Y, mais doit, à partir de questions,
deviner lequel est l’homme et lequel est la femme. Toutes les réponses seront
dactylographiées afin d’éviter l’influence de la voix. Imaginons à présent que
l’un des interlocuteurs soit une machine et que l’interrogateur doive le
distinguer de l’humain. Alors la question revient à savoir si une machine est
capable de se faire passer intellectuellement pour un humain, ce qui
reviendrait, selon Turing, à estimer qu’elle pense. Si ce n’est pas encore le
cas en 1950, il prévoit que ça le sera en l’an 2000.
Faux espoir. En effet, la machine ne peut tromper
l’interrogateur que si les réponses qu’elle lui donne sont “ humaines ” ;
ainsi, la résolution ultra rapide d’un calcul extrêmement complexe la
trahirait. Il est cependant facile de créer un programme pour que cette réponse,
lente à venir, leurre l’interrogateur. Il y a pourtant un domaine où la machine
va se faire piéger : la conversation, en particulier lorsqu’elle exige que l’on
associe plusieurs facultés telles que la culture générale, l’intérêt pour
l’actualité, l’humour, l’empathie... Bref, alors que les capacités humaines
relevant de la seule et pure logique sont reproductibles et même largement
améliorables par une machine, les autres facultés semblent impossibles à
réduire à des programmes.
Résultat, aujourd’hui encore, les machines échouent au
jeu de l’imitation car aucune ne peut entretenir une conversation courante avec
la fluidité, l’imprévisibilité et la créativité dans le dialogue,
caractéristiques des humains.
Mais en inventant the imitation game, Turing a
ouvert la voie à des questions d’ordre informatique autant que philosophique et
psychologique. Car, supposer qu’une machine pourrait penser, c’est envisager
que le cerveau humain serait peut-être une machine. L’échec de la machine
prouverait donc que penser ne se réduit pas à calculer. Penser repose sur une
langue certes codifiée par la grammaire mais pas figée en elle. Les mots sont
porteurs d’un sens que ne possèdent pas les nombres. Alors l’intelligence, si
on tenait absolument à la définir, résiderait plus dans la finesse à
interpréter que dans l’infaillibilité à déduire, d’où la difficulté à l’imiter
artificiellement.
Lire l’article de Turing :
[1] Au même
moment, l’allemand Konrad Zuse en fabrique aussi un en Allemagne et un
prototype avait vu le jour aux États-Unis en 1939.
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