Le
6 avril 1922, la Société Française de philosophie reçoit Albert Einstein, prix
Nobel de physique en visite à Paris. Pour débattre avec lui sont entre autres
présents le philosophe Henri Bergson, Nobel de littérature, et son ami Émile
Meyerson qui ouvre la discussion.
Ce
dernier est l’auteur d’un paradoxe : la raison a besoin, pour se surpasser,
d’une part d’irrationnel. Cette part, inhérente à la nature elle-même, existe
aussi dans l’esprit du chercheur. Ainsi, la raison ne pourra pas réduire le
réel et l’histoire de la science est l’histoire de cette tension insurmontable
entre rationnel et irrationnel. L’argument aurait frappé Einstein et par la
suite influencé sa conception des sciences.
Meyerson
lui aussi est un scientifique mais au parcours atypique. Titulaire d’un
doctorat de chimie obtenu dans sa Pologne natale puis stagiaire au Collège de
France en 1882 avant de devenir chimiste dans la grande industrie, il
démissionne d’un poste bien rémunéré pour s’établir inventeur. Le brevet de
colorant qu’il dépose étant un échec, à trente ans, il est embauché comme
rédacteur en politique étrangère dans une agence de presse, Havas, puis neuf
ans plus tard dans une administration du Baron de Rothschild et enfin à la Jewish colonization association.
Pourquoi
ne pas enseigner à l’Université ? Parce qu’il n’est naturalisé français qu’en
1926. Alors il se contente d’emplois alimentaires pour se consacrer à la
composition d’une histoire de la chimie. Car autant qu’à la matière elle-même,
le chimiste Meyerson s’intéresse à la façon dont les chercheurs l’abordent :
par la seule raison ou par la sensation ? La connaissent-ils ou projettent-ils
sur elle leurs hypothèses ( il parle alors d’hypostasie ) ? C’est cette
entreprise épistémologique qui l’a amené à son fameux paradoxe et plus
généralement à une prise de position originale dans le débat scientifique de
son époque, position qu’il défend dans ses ouvrages (Identité et réalité,1908,
La Déduction
relativiste, 1925... )
Alors
Meyerson est-il, en définitive, chimiste ou philosophe ? Il a fréquenté autant
les uns que les autres, sans compter les mathématiciens et autres physiciens.
Correspondance suivie, entretiens très réguliers, il a même participé au
célèbre dictionnaire de philosophie d’André Lalande !
C’est
pourquoi les penseurs étasuniens continuent à prendre en compte ses travaux,
alors qu’il est rapidement tombé dans l’oubli en France. Ne pas être passé par
la voie officielle de l’Université l’a indéniablement pénalisé, contrairement à
son rival Bachelard. Mais il n’est pas impossible qu’il soit aussi victime de ce
que notre culture considère comme une confusion des genres, la rencontre d’un
professionnel de la chimie avec la philosophie, comme s’il y avait des mariages
intellectuels contre-nature.
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