Le pessimisme est la doctrine philosophique selon laquelle le bonheur n’existe pas mais n’est qu’une illusion, un idéal que les hommes se sont forgés alors qu’ils ne parviendront jamais à l’atteindre. Le philosophe allemand Arthur Schopenhauer ( 1788-1860 ) expose cette doctrine dans Le Monde comme volonté et comme représentation. Ce monumental ouvrage inspire le romancier français Guy de Maupassant qui se livre, dans son roman Bel Ami ( 1885 ), à une mise en scène du pessimisme.
Pourtant, en apparence, l’histoire de Georges Duroy arrivé à Paris sans le sou et devenant en quelques années un journaliste riche, célèbre et influent illustre la réussite sociale. N’est-il pas alors paradoxal de considérer qu’un personnage qui a réalisé ses rêves soit le héros d’un roman pessimiste ?
Mais d’abord, Georges est-il heureux ? Connaît-il ce sentiment de plénitude durable où l’homme contemple ce qu’il possède, s’en réjouit et ne demande rien de plus à l’existence ? Non car malgré ses succès, il est obsédé par ce qu’il n’a pas, sans savoir se réjouir de ses acquis. Il est victime du désir tel que le définit Schopenhauer : un manque sans cesse renouvelé et entraînant l’homme dans une quête absurde et nécessairement douloureuse. Georges est l’archétype de l’humain, condamné à désirer sans répit. Comme nous tous, il se croit libre alors qu’il n’est qu’un pantin manipulé par une force supérieure dont il n’a pas conscience, la Volonté
Il n’est donc finalement pas mieux loti que d’autres personnages malheureux de façon évidente, tel son ami de régiment Forestier mourant prématurément de la tuberculose ou Norbert de Varennes, ce vieux journaliste désabusé tenant à Georges un discours dont Schopenhauer lui-même aurait pu être l’auteur.
Mais l’amour ne peut-il pas adoucir l’existence ? Schopenhauer le réduit à l’instinct sexuel. L’amour ? Encore une illusion créée par une société plus pudique que réaliste. Georges en est la triste confirmation : il méprise une prostituée généreuse, trompe sa maîtresse puis son épouse. Les femmes ne sont pour lui qu’un moyen de gravir les échelons sociaux et flatter sa vanité. De leur côté, victimes de son charme naturel, celles-ci vont de désillusions en désillusions.
Nous croyons voir dans la scène finale du roman un homme au sommet de sa gloire et nous l’envions. N’oublions pas que très bientôt, l’insatisfaction le torturera à nouveau et qu’il sera, tôt ou tard, un cadavre pourrissant dont la vie aura été, comme toute vie, absurde. Ainsi, à travers ces quelques portraits, Maupassant emboîte le pas à Schopenhauer pour dévoiler sans pitié ce que tous deux estiment être la seule vérité : la vie est une horreur.
Pour compléter :
Une nouvelle de Maupassant en hommage à Schopenhauer, Auprès d’un mort ( 1883 ) à lire sur un site entièrement consacré au philosophe : http://www.schopenhauer.fr/influences/maupassant.html
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