Dans une lettre à son ami Freud, l’écrivain autrichien
Stefan Zweig sollicite qu’il reçoive l’un de ses « plus grands admirateurs et,
avec toutes ses petites folies, peut-être l’unique génie de la peinture
moderne, Salvador Dali. »
Admirateur ? Dali est littéralement fasciné par
la figure de Freud, au propre – il la représente en maints portraits – et au
figuré. Dali qui écrit en 1932 « j’ai des désirs cachés, secrets
pour moi-même, puisque je m’en découvre constamment de nouveaux » se trouve
justifié par la psychanalyse qui enseigne que le désir ( principe du plaisir )
est le motif inconscient de tous nos actes conscients. Et puis Freud aborde
sans tabous la question de la sexualité sous tous ses aspects, y compris et
surtout ceux condamnés par la morale. Enfin, il a découvert un univers que
chacun porte en soi, l’inconscient ; en l’explorant et l’interprétant, il
ouvre la voie à une infinité de nouvelles représentations artistiques.
C’est pourquoi Dali a instamment prié Zweig, leur ami
commun, d’accomplir cette démarche mais Zweig est prudent. Freud est épuisé par
le cancer qu’il combat depuis des années, désorienté d’avoir été contraint de
quitter Vienne occupée par les nazis. Surtout, Freud n’apprécie pas l’art
moderne et n’a pas pris la mesure de l’influence que ses travaux exercent sur
lui.
La rencontre a pourtant lieu le 19 janvier 1938 à
Londres. Dali montre à Freud son tableau La métamorphose de Narcisse (
1937 ). C’est le premier reposant entièrement sur sa méthode
paranoïaque-critique : « Toute mon ambition, sur le plan
pictural, consiste à matérialiser avec la plus impérialiste rage de précision
les images de l’irrationalité concrète…qui provisoirement ne sont pas
explicables ni réductibles par les systèmes de l’intuition logique ni par les
mécanismes rationnels. » ( La conquête de l’irrationnel, 1935 ).
Freud aussi, puisant dans la mythologie pour donner
forme à ses théories, a retenu la figure de Narcisse. Il définit le
narcissisme comme « le déplacement de la libido de l'individu vers son propre
corps, vers le "moi" du sujet » ( Introduction à la psychanalyse,
1917 ). Il observe donc le tableau longuement, en silence, pendant que Dali
trace encore son portait avant d’exposer, surexcité, sa théorie. Freud
s’exclame enfin : « Je n’ai jamais vu aussi parfait prototype d’Espagnol. Quel
fanatisme ! » Dali est enchanté du compliment.
En réalité, Freud s’intéresse au tableau : «
Jusqu'ici, j'inclinais à penser que les surréalistes - qui m'ont paraît-il
choisi pour saint patron - étaient complètement fous. Mais ce jeune espagnol,
avec ses yeux fanatiques et sa maîtrise technique indiscutable, m'a inspiré une
opinion distincte. En fait, il serait tout à fait intéressant d'explorer
analytiquement la croissance d'une telle œuvre... ». Il l’a lui-même fait pour
les créations de Léonard de Vinci.
Chez Dali, le tiroir devient le symbole de la
psychanalyse : « L’unique différence entre la Grèce immortelle et
l’époque contemporaine, c’est Sigmund Freud, lequel a découvert que le corps
humain, qui était purement néo-platonicien à l’époque des Grecs, est
aujourd’hui plein de tiroirs secrets que seule la psychanalyse est capable
d’ouvrir. » ( à propos de La Vénus de Milo aux tiroirs, 1936 )
En savoir plus sur
· le tableau La
métamorphose de Narcisse : https://www.salvador-dali.org/recerca/arxiu-online/textes-en-telechargement/10/dali-et-le-mythe-de-narcisse
·
l’entrevue entre Freud et Dali : http://tranb300.ulb.ac.be/exemples/groupe146/exhibits/show/ppsy/antepost/rencontre
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