Le 29 novembre
1929 mourrait, un mois avant ses 22 ans, Élisabeth Lacoin. Victime d’une
encéphalite virale, comme l’affirmèrent ses proches et les médecins ? Sa
meilleure amie, Simone de Beauvoir, ne croit qu’à demi à cette version,
persuadée que Zaza, comme on la surnommait, était morte du désespoir de n’avoir
pas pu vivre comme elle le voulait.
Dans sa famille bourgeoise,
aisée et très catholique, une fille n’a qu’un avenir : le mariage arrangé. Simone
vient du même milieu mais sa famille, ruinée pendant la Première guerre
mondiale, doit se résoudre à ce qu’elle travaille. La jeune-fille entreprend
donc des études de mathématiques pour rassurer son père et de philosophie pour
se faire plaisir. Zaza rêve aussi de la Sorbonne mais ses parents s’y opposent,
l’éloignant de son amie d’enfance devenue une « mauvaise fréquentation ».
Pourtant, lors d’une
rare rencontre, elle fait la connaissance d’un ami étudiant de Simone, Maurice
Merleau-Ponty. Ils tombent amoureux. Zaza rêve de l’épouser mais Maurice est
pauvre. Zaza s’obstine, obtient de partir étudier un an en Angleterre, échappant
à un mariage forcé. On verra au retour, lui disent ses parents qui espèrent que
leur fille reviendra plus docile.
Ils ignorent sa
détermination. Quelques années auparavant, durant des vacances que les deux filles
passaient dans la maison des Lacoin, Zaza, accablée de corvées, se coupa exprès
le pied à coup de hache pour échapper à l’une d’elle, rencontrer un énième mari
potentiel. Simone est autant effrayée que subjuguée par le courage de ce geste,
prenant conscience du prix de la liberté.
Simone de Beauvoir
a déjà rencontré Jean-Paul Sartre quand Élisabeth meurt. Tout en vivant
d’autres histoires, ils resteront inséparables jusqu’à leur mort, unis par la
construction d’une philosophie : l’existentialisme. Simone et lui mesurent
à quel point ils ont reçu une éducation différente liée à leur sexe. Pourtant,
ils se sentent totalement égaux intellectuellement, identiques dans leur
aspiration à vivre heureux et dans leurs capacités à le devenir. La liberté
comme l’égalité ne devraient donc jamais être une question de sexe, de genre.
Elles sont des valeurs universelles.
La célèbre formule
de de Beauvoir « On ne naît pas femme, on le devient » peut alors se
lire comme le condensé de toutes les pressions exercées sur Zaza, contrainte
d’endosser le rôle social d’une femme, qui ne lui convenait pas, alors que ses
goûts la portaient vers une vie réservée aux hommes, les études, les sorties,
l’amour.
Qui serait devenue
Élisabeth sans sa maladie et dans un monde plus libre ? Mais si le nôtre
l’est plus que le sien, c’est parce que de Beauvoir, restée fidèle à la mémoire
de son amie, évoquée dans quatre de ses livres, n’a jamais accepté l’absurdité
programmée que fut sa courte vie. Ses analyses, ses revendications dans Le
deuxième sexe, aussi controversées soient-elles, y compris par les
féministes elles-mêmes, sont un peu l’héritage spirituel de cette Élisabeth.
À lire de Simone de Beauvoir : Mémoires
d’une jeune-fille rangée ( autobiographie de sa naissance à la mort de Zaza
) ; Les inséparables ( roman inédit jusqu’en 2020 où l’auteur
raconte l’histoire de Zaza ).
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