La princesse Elisabeth de Bohême (
1618-1680 ) est modeste. Elle parle six langues sans pour autant se mettre en
avant dans les salons, ces lieux où s’échangent, au XVIIème siècle, toutes les
nouveautés scientifiques et artistiques. Elle est reconnue comme l’un des
meilleurs mathématiciens de son temps mais refuse de publier ses travaux malgré
les encouragements de Huygens. Elle est belle mais sait qu’elle ne pourra pas
se marier car sa famille, bien que de très haute noblesse, est en exil et
pauvre ; qu’importe, Elisabeth ne se plaint pas et assume ses
responsabilités auprès de ses douze frères et sœurs dans un climat politique
tendu.
Une santé fragile et tant de sérieux la
conduisent pourtant à être souvent déprimée et c’est Descartes qui lui a
conseillé de consacrer moins de temps aux études scientifiques et
philosophiques et plus aux distractions futiles.
Car au printemps 1643, Elisabeth, après
l’avoir brièvement rencontré, écrit à Descartes. Elle a lu de façon très
approfondie les Méditations métaphysiques
mais demande des éclaircissements sur plusieurs points au philosophe. Une
correspondance régulière s’établit.
La correspondance d’un philosophe n’a pas
pour destination de rester dans l’intimité mais pour vocation d’être publiée.
C’est ce qu’avait fait, au Ier siècle, Sénèque avec ses lettres à Lucilius.
Justement, Descartes s’inspire beaucoup des idées du romain pour consoler
Elisabeth de ses souffrances. C’est pour lui l’occasion d’explorer des thèmes
qu’il avait jusque là négligés. C’est même dans une lettre à la princesse que
l’on peut lire le seul texte qu’il ait consacré aux relations avec autrui. En
répondant aux questions d’Elisabeth, il clarifie et développe différents points
de ses livres et revient aux thèmes favoris de ses débuts, l’homme du point de
vue médical mais aussi la poésie. La correspondance avec Elisabeth offre à
Descartes un espace de liberté.
Elle permet à Elisabeth de devenir
elle-même philosophe, c’est-à-dire de développer une pensée strictement
personnelle. Car Elisabeth admire Descartes sans être sa disciple aveugle et
les lettres qu’elle lui écrit expriment une indépendance et une originalité de
plus en plus grande.
Bref, ces lettres font partie intégrante
de l’œuvre mais Elisabeth a demandé à Descartes le secret. C’est un sacrifice
pour le philosophe malheureux de n’être pas assez reconnu, d’être mal compris
et de faire l’objet de tant de méfiance ( on le soupçonne, entre autre,
d’athéisme ). Mais leurs échanges sont un secret de polichinelle et Descartes
lui dédie officiellement l’ouvrage qu’il publie en 1644, Les principes de philosophie.
Avec le développement des études visant à
faire sortir de l’ombre des figures féminines qui ont joué un rôle aussi
important que les hommes dans l’histoire, la princesse Elisabeth trouve enfin
une place à sa mesure dans l’histoire de la philosophie. Elle n’a pas été
seulement la muse de Descartes, rôle traditionnel attribué à toutes les femmes
ayant gravité dans l’ombre d’un grand homme. Le dernier livre de
Descartes, Les passions de l’âme, est
leur ouvrage commun : il est né du projet de répondre aux questions
d’Elisabeth sur les passions et il est relu par elle au fur et mesure que
Descartes l’écrit en tenant compte de ses remarques. Or, cet ouvrage, quoique
resté inachevé ( Descartes meurt en cours de rédaction ) permet à l’œuvre de
Descartes de ne pas rester cantonnée à des travaux scientifiques et
métaphysiques qui tiennent, finalement, l’homme en tant que personne à l’écart,
mais de s’étendre à une dimension plus humaine tout aussi nécessaire à la
philosophie parce que nécessaire à la vie.
Une réédition récente de la correspondance
témoigne de l’importance de celle-ci mais le fait qu’elle le soit sous le nom
d’auteur "Descartes" de l’ombre des grands hommes que notre société continue à
faire porter sur les grandes femmes.
Les lettres publiées en 2018 :
Les lettres à lire en ligne :
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